L’exceptionnelle diversité biologique de la Guinée est de plus en plus menacée par les activités humaines, y compris les grands projets miniers comme celui de Simandou. Cette note d’alerte synthétise les risques et impacts du projet sur la biodiversité et propose à l’Etat et aux entreprises des dispositions de prévention et d'atténuation efficaces afin de protéger les écosystèmes.
1-Bref aperçu sur le projet
Niché dans les montagnes boisées de Guinée, en Afrique de l'Ouest, se trouve ce qui serait le plus grand gisement inexploité de minerai de fer à haute teneur au monde. Le projet Simandou, l'un des plus ambitieux projets combinés d'exploitation minière et d'infrastructure du continent, couvre une superficie totale de 1 500 kilomètres carrés où le minerai sera extrait, traité puis transporté sur 650 kilomètres le long d'une ligne de chemin de fer traversant les habitats d'espèces menacées, les terres agricoles et les zones protégées du pays, avant d'arriver à un nouveau port en eau profonde situé dans les zones de pêche locales pour l'exportation.
Convoité depuis des décennies par des sociétés minières internationales, le projet est aujourd'hui porté par deux consortiums : Le géant minier australien Rio Tinto avec le producteur d'aluminium chinois Chinalco (Simfer) et le plus grand producteur d'aluminium chinois, Hongqiao avec une entité basée à Singapour, Winning (Winning Consortium Simandou ou WCS). Des rapports de presse indiquent que le plus grand producteur d'acier chinois, Baowu, est en pourparlers avec les deux consortiums. La construction de la ligne ferroviaire et du port - dont le coût est estimé à 13 milliards de dollars - détenus par les deux consortiums et le gouvernement guinéen, ainsi que des blocs 1 et 2 de WCS, a commencé. Rio Tinto est en train de mettre à jour ses études afin de commencer la construction.
La République de Guinée jouit d’une exceptionnelle diversité biologique avec un écosystème riche en savanes, forêts denses humides et sèches, mangroves et zones humides. Le pays abrite 3062 espèces de plantes et 4.931 espèces animales selon la monographie nationale réalisée en 1997.
L’état de sa biodiversité présente un écosystème diversifié. Les principaux groupes sont constitués d'écosystèmes terrestres, eaux douces, côtiers, marins, insulaires et construits. La superficie de son réseau d’aires protégées constitué des aires protégées, de grandes forêts classées, de mangroves, de zones humides d’importance, de forêts humides, de forêts galeries, de forêts sèches et des savanes fait 15% du territoire national tandis que les écosystèmes d’eaux douces faisant 1161 cours d’eau se répartissant dans 23 bassins fluviaux dont 14 internationaux. (Stratégie nationale sur la diversité biologique, 2016).https://www.cbd.int/doc/world/gn/gn-nbsap-v2-fr.pdf
Par ailleurs, la Guinée possède la plus grande population résiduelle de chimpanzés en Afrique de l’Ouest avec une population estimée à 17 700 individus selon une étude par Regnault & Boesch réalisée en 2012. (Ham, 1998 ; Kormos et al. 2003, Kühl et al. 2017). www.guineachimpanzees.com
En 2016, le chimpanzé d’Afrique de l’Ouest a été classé « en danger critique d’extinction » sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN.
Les forêts classées de Ziama et de Diécké au sud de la Guinée possèdent des espèces rares comme les hippopotames nains, les panthères et des éléphants (Stratégie nationale sur la diversité biologique, 2016).https://www.cbd.int/doc/world/gn/gn-nbsap-v2-fr.pdf
Une diversité biologique menacée et sous pression
Les impacts directs et indirects des activités humaines, qu’elles soient artisanales ou industrielles exercent une forte pression sur la biodiversité en Guinée.
Les ressources forestières, les terres et la forêt dense sèche connaissent une régression de 17% tous les 15 ans. La forêt dense humide est quant à elle passée de 14 millions d’hectares en 1967 à seulement 700 000 ha en 2002.(Stratégie nationale sur la diversité biologique, 2016).https://www.cbd.int/doc/world/gn/gn-nbsap-v2-fr.pdf
De nombreuses espèces biologiques sont en péril en Guinée, selon la monographie nationale sur la diversité biologique. Elle note notamment parmi lesquelles on compte des plantes, poissons osseux, reptiles, amphibiens, mammifères et insectes. (Monographie nationale sur la diversité biologique, Bah et al.1997).
Etat de la biodiversité dans la zone spécifique du projet Simandou
Des études réalisées par L’Etat guinéen, experts d’organisations de défense de l’environnement et de la biodiversité ont démontré que la zone entière de la mine de Simandou (blocs 1, 2, 3 et 4) contient d'importantes espèces d'invertébrés, d'amphibiens, de reptiles, d'oiseaux et de mammifères menacées ou endémiques, (Monographie nationale sur la diversité biologique, Bah et al.1997).
Quarante (40) espèces végétales menacées et au moins une espèce endémique se trouvent dans la zone du projet d'après une étude réalisée par les experts de Couch et al. (2018).
Le paysage transfrontalier de Outumba-Kilimi-Kuru Hills-Pinselli-Soya (OKKPS, faisant une superficie de 7 500 km2) comprend des zones tampons et des corridors forestiers importants pour la résilience climatique en Guinée et en Sierra Leone et pour la protection des habitats naturels restants pouvant favoriser la conservation de plusieurs espèces animales dont neuf espèces de primates.
Selon l'étude réalisée par Couch et al. (2018), quatre (4) espèces de primates de menacées existent dans la partie minière du Simandou dont le Singe Diana (Cercopithecus diana, EN), le colobe royal (Colobus polykomos, EN), le mangabey fuligineux (Cercopithecus atys, VU) et le chimpanzé ouest africain (Pan troglodytes Verus, CR).
Le rapport de l’EIES de WCS révèle que la forêt de Kounounkan située dans la sous-préfecture de Moussaya, (Préfecture de Forécariah), faisant une superficie de 5.347 hectares qui n’inclut pas la partie montagneuse abrite le plus grand nombre d'espèces végétales enregistrées dans l'EIES et représente l'une des 15 communautés végétales les plus riches du pays abritant 31 espèces végétales menacées et huit espèces végétales endémiques présentes uniquement dans le massif de Kounounkan (EIES WCS, 2020).
Le projet Simandou est encore à la phase de construction. L’extraction du minerai de fer devrait commencer en 2024 selon la convention de base.
Toutefois, les constats actuels sur les différents sites notamment au niveau des blocs 1 et 2 du projet suscitent des inquiétudes quant à la gestion de la biodiversité.
Des fragmentations d’habitats de chimpanzés situés le long du corridor du chemin dans une zone traversée par les tunnels entre les préfectures de Kindia et Mamou ont été notés par des organisations nationales et internationales de de défense de la biodiversité (UICN, 2023)
L’importante faune de la partie minière des blocs 1 et 2 du Simandou composée de primates (Chimpanzés et singes) et d’autres espèces vivant le long de du ‘’Goeing’’ Mont Simandou dans la langue de la localité connaît une disparition progressive (rareté constatée), rapportée par communautés de la Sous-préfecture de Damaro lors des missions d'enquêtes de terrain effectuées par certaines ONG nationales (AMINES à citer?).
A Senguelen, zone abritant le port, l'étendue de mangrove a été déboisée en faveur des installations portuaires, et a provoqué l'éloignement des espèces halieutiques et la diminution de la plaine d'inondation qui sont des zones de repos et de reproduction des poissons et des crustacés.
Le risque principal demeure la continuité des violations des engagements des entreprises et leurs sous-traitants en matière d’environnement d’autant plus que ses entreprises font partie de groupes de sociétés qui se sont déjà rendues coupables de violations des tels engagements concernant des projets en Guinée et ailleurs dans le monde. C’est le cas de Winning en Guinée d’après des rapports de la Fédération internationale pour les droits humain, de Natural Justice et de Human Rights Watch ; et de Rio Tinto en Guinée selon notamment une plainte devant le conseiller-médiateur de la Banque mondiale, et dans d’autres pays. De façon plus spécifique, les risques sont les suivants : [A insérer :
Sur les Chimpanzés et autres primates [carte Earth Insight à insérer] : Le chemin de fer reliant le site minier situé dans la préfecture de Kérouané et le port minéralier de Senguelen dans la préfecture de Forécariah risquent d’avoir des effets dévastateurs notamment la fragmentation des habitats des chimpanzés vivant dans les zones de Kindia et Mamou traversées par l’infrastructure ferroviaire et les zones abritant des habitats près de la zone minière de Kérouané et occasionner leur disparition.
Sur les Aires protégées : Selon une analyse préliminaire de l’étude d’impact environnemental et social de WCS sur la biodiversité, le chemin de fer coupera en deux l’important paysage transfrontalier de Outumba-Kilimi-Kuru Hills-Pinselli-Soya (OKKPS, 7 500 km2). Cela entraînera sans doute une fragmentation de la forêt et la perturbation de l'écosystème de ce milieu qui comprend des zones tampons et des corridors forestiers importants pour la résilience climatique en Guinée et en Sierra Leone et pour la protection des habitats naturels restants pour la conservation de plusieurs espèces animales dont neuf espèces de primates. La réalisation du projet de chemin de fer qui passe le long du massif de Kounounkan menace l’importante communauté végétale de Kounounkan avec ses trente une (31) espèces végétales menacées et huit (8) espèces endémiques. Le défrichement des zones forestières en faveur de l'exploitation des minerais de fer dans la zone minière notamment dans les localités de Kounsankoro, Damaro Lenko, Moribadou, Traorela, etc. et des zones traversées par le chemin de fer entraînera sans doute la perte et la fragmentation d’importants habitats naturels, perturbant les écosystèmes, affectant la biodiversité et causant des conséquences écologiques à long terme.
Le projet menace d’autres aires protégées comme le parc national du haut Niger (Mamou) dont la partie sud sera traversée par le chemin de fer et l’aire protégée de Farenta. Ces zones renferment également des espèces animales telles que les hippopotames, buffles, cobes, chimpanzé ouest africain etc. Le Pic de Fon ainsi que le Mont Béro situés sur les blocs 3 et 4.
Sur la zone portuaire (Senguelen) : La construction du port, la mise en place des infrastructures connexes et les activités de transport qui requièrent des travaux de défrichement et de remblayage provoqueraient la disparition des mangroves, l'éloignement des espèces halieutiques et la diminution de la plaine d'inondation qui sont des zones de repos et de reproduction des poissons et des crustacés.
Flux migratoire : Le projet Simandou entraînera un flux migratoire important dans la région. Les travaux d'amélioration des routes réalisés dans le cadre du projet ont considérablement réduit la durée des trajets dans la région, permettant à des groupes extérieurs d'y accéder facilement. Cela augmente la pression sur les primates et autres animaux, les exposant potentiellement à la chasse ou à la capture, et peut entraîner un risque d'augmentation de la chasse aux primates et autres animaux, ainsi qu'un fort déclin des populations restantes d'espèces menacées dans la chaîne de montagnes du Simandou (UICN, 2023). Des limites de l'Étude d’Impact Environnemental et Social (EIES) : Une analyse de l’étude d’Impact Environnemental et Social réalisée par WCS et présentée aux parties prenantes dans un atelier les 18 et 19 octobre 2022 a révélé qu’une évaluation de l’impact des activités minières sur ces espèces en voie de disparition n’avait pas été effectuée. L’analyse révèle en plus que l’étude de la période hivernale n’a été complétée. Ces manquements majeurs nous amènent à conclure que les plans proposés par WCS pour atténuer les impacts du projet sur la biodiversité sont par conséquent inadéquats et de ce fait, l’exploitation des minerais de fer, la construction et l’exploitation des infrastructures connexes du projet auraient des impacts dévastateurs sur l’environnement et l’importante diversité biologique si ces manquements ne sont pas corrigés des dès maintenant, étant donné que les activités du projet telles que la construction du chemin de fer et du port minéralier sont déjà en cours.
5. Conclusions et Recommendations
Conclusions
Conscient de l’importance de l'écosystème et la diversité biologique se trouvant dans et autour de la zone globale du projet, tout porte à croire que le développement du projet Simandou dans diverses phases aura des incidences sur cet important milieu récepteur comprenant des espèces animales et végétales considérées comme menacées et ou endémiques. Sans occulter que la vie des communautés riveraines du projet sera également menacée au regard de leur dépendance de ce milieu biologique qui leur fournit des services écosystémiques importants.
Recommendations:
Les recommandations suivantes sont adressées en conséquence aux entreprises et à l'État de prendre des mesures et mettre en place des dispositions de préventions et d'atténuations effectives afin de protéger l’importante diversité biologique tout au long de la vie de la mine de Simandou.
A l’Etat et ses services concernés
Renforcer le cadre suivi les engagements légaux et contractuels des entreprises WCS et Rio Tinto en matière de gestion de la biodiversité;
Faire respecter les obligations énoncées dans le Code de l’environnement 2019, les conventions et engagements internationaux ratifiées par de la Guinée sur la protection de la biodiversité
Exiger la conduite périodique d’audits des entreprises sur sur leur performances environnementales et sociales et prendre des sanctions contre les violations des engagements.
Aux entreprises Rio Tinto et Winning Consortium Simandou:
Réaliser une étude spécifique sur les chimpanzés dans le paysage OKKPS pour déterminer la présence et la distribution dans ce paysage.
Faire une évaluation complète des services écosystémiques de la zone du projet, aligner le projet sur les normes de performance SFI (PS6).
Faire une mise à jour de l'évaluation d'impact sur la biodiversité et les plans de gestion existants pour toutes les composantes du projet afin de prendre en compte les critiques et recommandations notées lors des ateliers de présentation du rapport sur la gestion de la biodiversité en octobre 2022.
Compléter l’EIES sur la période hivernale afin de s’assurer de la collecte effective des données ainsi que l’évaluation de tous les risques et impacts du projet sur la diversité biologique ;
Elaborer un plan d’action détaillé et conforme aux normes requises (PS6) sur la gestion de la biodiversité ;
Construire, entretenir et surveiller des structures de passage pour la faune afin d'assurer la libre circulation des animaux sauvages, en particulier des chimpanzés;
Inclure une enquête complète sur la chasse et la viande de brousse.
Établir des codes de conduite et des protocoles qui régissent le comportement du personnel et des sous-traitants sur les chantiers de construction.
Contrôler l'accès le long des routes afin d'empêcher le trafic illégal de ressources naturelles et veiller à ce que seuls les travailleurs et les résidents locaux puissent accéder aux sites des projets ;
Assurer la participation effective des communautés locales et les ONG au processus de mise à jour des EIES.
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